Lettre de Villersexel du 12 janvier 1871


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Villersexel, le 12 janvier 1871,

Chère amie,
Voilà deux ou trois jours que j’ai reçu la lettre que ta sœur Suzanne m’a écrite, mais ce qui m’a étonné, c’est qu’elle m’a dit que tu étais malade ; mais j’espère que ce qu’elle m’a dit ensuite est vrai, car elle m’a dit que ça ne serait rien.
Au moment où j’ai reçu ta lettre, nous étions arrêtés sur le bord d’une route, parce que l’artillerie ne pouvait pas avancer : pendant la nuit la neige avait fondu, et le matin elle était gelée ; ça a fait qu’on a eu le temps de nous distribuer les lettres.
Nous n’avions presque rien mangé la veille et le matin on repartait sans déjeuner ; je t’assure que le soir on ne faisait pas des miettes des pommes de terre que l’on a pu acheter, il était impossible de trouver du pain parce que les Prussiens en avaient point laissé ; mais la viande n’a cependant pas encore manqué. Mais j’étais si content d’avoir reçu de tes nouvelles que je ne me suis pas aperçu du tout de la faim, la seule chose qui m’inquiète seulement c’est que tu sois malade.
Ta sœur m’a dit que quand les messagers de Vienne reviendraient que tu voulais m’envoyer quelque chose ; ça me ferait bien plaisir, mais si ce n’était pas de toi, je n’y tiendrais pas parce que j’ai assez des effets.
Ces jours passés, on couchait toujours dans les granges, mais maintenant que l’on est en présence de l’ennemi, on couche dans les bois ou au milieu d’un champ.
L’on s’est battu il y a deux jours toute une journée dans le pays que je t’écris, les Prussiens avaient braqué des pièces de canon dans le clocher du village ; mais avec deux coups de canon les Français ont démoli le clocher ; nous n’avons pas assisté à la bataille mais on a entendu le canon jusqu’à dix heures du soir.
Voilà trois jours que le canon ne cesse pas de gronder du coté de Belfort. Il paraît que les Prussiens ne seraient pas mal brossés.
Quand à ta lettre du 10 décembre, j’en ai encore point reçu ; mais j’espère la recevoir bientôt. Voilà tout ce que je puis te dire pour le moment. Je suis un petit peu mieux content parce que les vivres commencent à arriver.
Je suis toujours en bonne santé j’espère que quand tu recevras ma lettre tu ne seras pas comme quand ta sœur m’a écrit ; mais que tu sois en bonne santé, en attendant le plaisir de voir venir des jours meilleurs.
Reçois, chère amie, les vœux sincères d’un dévoué ami qui t’aime de tout son cœur.
Roussillon Claude

Je pense que un de ces quatre matins nous allons faire feu.
Tu me répondras au 18ème corps d’armée 73 régiment de mobile 4ème bataillon de l’Isère département de la Haute-Saône.

Sylvie Chatelain Mariaux © 2010 - 2024 Mentions légales